Très réactionnaire morale laïque

Publié le par sdencgt35

En décembre dernier, le Ministère a publié les projets de programmes de l’enseignement moral et civique (EMC), marotte du ministre Peillon. Ce nouvel « enseignement » a été présenté comme une pièce maîtresse de la lutte pour la défense des « valeurs de la République », République bourgeoise qui depuis bien longtemps a « remplacé sa devise Liberté, Égalité, Fraternité ! par les termes non équivoques de Infanterie, Cavalerie, Artillerie ! » (Marx, Le 18 Brumaire, 1851).

Sans discuter sur le fait que le gouvernement donne à l’école pour mission d’enseigner la morale aux élèves, c’est-à-dire le « bien » et le « mal », on peut constater facilement que le but de l’EMC est proprement réactionnaire.
Il affiche comme objectif affiché d’apprendre aux jeunes le « principe d’obéissance » c’est-à-dire « comprendre le bien-fondé des règles régissant les comportements individuels et collectifs, à y obéir et à agir conformément à elles ». Si les élèves réussissent à intégrer ce principe, les professeurs de philosophie pourront cesser de soumettre à leurs élèves un sujet comme « Faut-il obéir à des lois injustes ? » et on trouvera moins de militants pour aider les sans-papiers ou faire des piquets de grève.

La moralité de l’EMC laisse aussi à désirer. En terminale, le passage de l’ECJS à l’EMC le montre clairement.
Les actuels programmes d’ECJS abordaient des questions qui disparaissent totalement des projets de programme d’EMC. C’est le cas par exemple des thèmes « argent et moralisation financière » et « violence et travail ». Pour le premier, on comprend sans mal que les anciens collègues de Jérôme Cahuzac aient préféré faire disparaître ce type d’interrogation. Pour le second, il suffit de lire les accompagnements de programme (élaborés sous le gouvernement Sarkozy !) pour comprendre pourquoi les auteurs de la loi Macron ont fait passer à la trappe ce sujet : « Si globalement le travail s’est progressivement « humanisé » depuis la fin du XIXème siècle dans bon nombre de pays, la violence au travail n’a pas pour autant disparu et prend des formes multiples sur lesquelles il faut s’interroger. Si on laisse de côté la privation de travail qui est bien souvent vécue fort légitimement comme une injustice majeure, ces violences concernent avant tout la vie des travailleurs sur les lieux de travail eux-mêmes : les conditions de travail se caractérisent aujourd’hui bien souvent par l’intensification des cadences, l’individualisation du traitement des salariés avive la concurrence entre ceux-ci et augmente le stress, les conflits du travail évoluent mais demeurent au cœur de la vie sociale. »

Le même programme fait disparaître le thème « pluralisme des cultures » au profit du « pluralisme des croyances » religieuses. Le gouvernement liquide ainsi l’idée énoncée dans les accompagnements de programme que « la participation des citoyens à la communauté politique n’exclut pas pour autant leur appartenance à d’autres communautés et la pratique ainsi que la transmission d’une langue ou une culture particulières, régionale ou étrangère, font partie de la liberté de chacun ».
Exit la diversité culturelle au nom du triptyque « Un État, une nation, une langue ». Place à la « participation active des élèves aux commémorations patriotiques » (prévue par la réforme du collège). Place également à « la pluralité des convictions religieuses » qui est un des deux thèmes du nouveau programme.
A cela s’ajoute une version très peu laïque de la laïcité avec la disparition de l’étude de la la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État (possible dans le programme d’ECJS de 2nde), remplacée par l’étude de la loi de 2004 qui visait avant tout le port du voile à l’école.
Cette réduction de la diversité à la diversité religieuse témoigne de la crispation du gouvernement sur le religieux. Obsession d’autant plus réactionnaire que, selon une enquête sérieuse menée dans quarante pays par l’institut Gallup, seuls 37% des Français se définissent comme religieux en 2012 (contre 55% en 2005), 29% « athées convaincus » (contre 14% en 2005, ce qui est la quatrième plus forte proportion après la Chine, le Japon et la République tchèque) et 34% de personnes « non religieuses » (sans aucun doute indifférentes).
Pour comprendre cette obsession gouvernementale, il suffit sans doute de se remémorer une citation de Napoléon : « Quant à moi, je ne vois pas dans la religion le mystère de l’incarnation, mais le mystère de l’ordre social ; elle rattache au ciel une idée d’égalité qui empêche que le riche ne soit massacré par le pauvre ».

Publié dans 2nd Degré

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